L’oubli de la démocratie, du droit de la décolonisation et du Peuple Kanak: Bougival, un projet d’accord dystopique sur la Nouvelle-Calédonie
- jbe966
- 17 juil.
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Par Jérôme BOUQUET-ELKAÏM
La plume lourde de quelque technocrate de salon parisien, une structure incertaine pour des orientations et un processus tortueux sont parvenus à réunir les paraphes de politiciens hors sols ou mal éclairés. Les tensions qui ont marqué la Nouvelle-Calédonie depuis mai 2024, l’intensité des stigmates auraient pourtant mérité d’embrasser à bras le corps sa réalité humaine, son pluralisme, d’appréhender ses équilibres et la source profonde de son instabilité pour dessiner un cadre et une voie sans ambiguïté, sûrs et limpides. Cela peut-être aurait enfin offert aux calédoniens l’apaisement et un avenir heureux.
Mais le cap était tracé et tous, à commencer par les indépendantistes Kanaks, n’y ont vu que du feu.
Le chemin tout d’abord était biaisé. Il y a la temporalité mélanésienne, océanienne et il y a les ambitions avides et insatiables de l’Elysée et de ses satellites élus ou oligarques. Parvenir à un accord en quelques jours, après la fracture de 2024, avec le poids des déséquilibres structurels, du traumatisme post colonial comme des souffrances de ceux qui furent reconnus par les Kanak comme victimes de l’histoire, voilait nécessairement des pressions, un chantage économique et un but qui n’était pas la décolonisation, pas la construction d’une concorde, ni celle de la paix civile. Ce qui était en jeu c’était bien le verrouillage étroit de la Nouvelle-Calédonie au sein de la République française dans l’arc Indo-Pacifique, la création d’une citoyenneté qui ouvre finalement le dégel du corps électoral, et tout cela au sein d’un système appelé à demeurer hégémonique, moniste et assimilationniste.
La temporalité et les priorités de l’Etat ne répondaient pas aux enjeux. L’instabilité de ce territoire sera donc encore au rendez-vous. La forme quant à elle était un leurre.
Que l’on ne s’y trompe pas. Le sommet sur la Nouvelle-Calédonie où furent conviées les forces vives n’était qu’un paravent appelé à teinter de légitimité un accord négocié et signé ailleurs, sans consultation ni concertation dans l’ombre intimiste d’un hôtel de Bougival. Le Sénat Coutumier, les institutions coutumières appelés à participer à ce sommet s’étaient préparés, mais ils n’ont pas eu leur mot à dire. Être conviés à faire une Coutume à l’Elysée, oui ; prendre la parole au Ministère des outre mers, oui ; mais être consultés ou associés au processus de négociation, cela n’était pas concevable pour l’Etat, nonobstant les résolutions du rapport final du Comité des Droit de l’Homme du 7 novembre 2024 qui l’y avaient fortement invité[1]. Les institutions coutumières n’ont pu que constater cette mise en scène, puis repartir, et il en fut de même de tous les autres acteurs de la société civile calédonienne qui pourtant marchaient dans une même direction, celle du destin commun, de la réconciliation et du respect de l’identité kanake. La démocratie fut confisquée et inexistante. Le droit du peuple autochtone Kanak foulé au pied avant même la signature de ce projet.
Ce fut donc politique et c’est dans un monde imaginaire, dépourvu de l’expression des libertés individuelles et collectives que les auteurs de ce texte ont voulu inscrire l’avenir de la Nouvelle-Calédonie.
Imaginaire l’Etat calédonien vendu aux indépendantistes signataires ! Tout d’abord, s’il peut y avoir organisation institutionnelle sui generis d’une portion d’un territoire national, il n’y a pas d’Etat sui generis au sens du droit international qui en détermine les critères dont en particulier la puissance publique s’exerçant de manière exclusive sur la population d’un territoire. S’il y a Etat calédonien, il ne peut être pensé ni inscrit dans l’ensemble national français, tout au plus peut-il y être associé au sens et suivant les modalités de la résolution 1541 (XV) du 15 décembre 1960 de l’Assemblée générale des Nations Unies. Mais ce n’est en aucun cas du Principe VIII de cette résolution que procède le projet de Bougival car pour cela il eut déjà fallu « un choix libre et volontaire des populations du territoire exprimé suivant des méthodes démocratiques et largement diffusées ». Il eut encore fallu que le territoire associé ait pu avoir le droit de déterminer par lui-même sa constitution intérieure sans ingérence extérieure notamment de l’ancienne puissance coloniale. Cela supposait des paliers et des étapes. Cela ne pouvait être renvoyé à une loi organique du parlement français ni passer par un accord dicté et paraphé par l’Etat français. S’il y a Etat calédonien, il y a alors aussi nation française et nation calédonienne. La nationalité en droit international est, en effet, un domaine réservé à l'État et l'attribution ainsi que la perte de la nationalité relèvent de sa compétence exclusive. Cela signifie que chaque État est libre d'adopter sa propre législation sur la nationalité, qui peut varier d'un pays à l’autre. Mais si la renonciation à la nationalité française emporte renonciation à la nationalité calédonienne, c’est là encore que l’idée d’un Etat calédonien est une fiction. Qu’en est-il encore d’une nationalité calédonienne réservée aux seuls nationaux français dans une logique discriminatoire échappant au choix des calédoniens.
Fiction encore l’Etat calédonien lorsque l’organisation de la répartition des compétences entre collectivités calédoniennes reste réservée à une loi organique spéciale relevant du parlement français.
D’ailleurs, il est très révélateur que les dispositions du projet d’accord visent systématiquement « l’Etat » et « la Nouvelle-Calédonie » et non « l’Etat français » et « l’Etat associé de Nouvelle-Calédonie ».
Ce ne sont donc pas les résolutions 1514 (XV) et 1541(XV) de l’Assemblée Générale des Nations Unies qui ont été mises en œuvre dans le projet d’accord de Bougival, et ce n’est même pas la création d’un Etat associé suivant le Principe VIII de de la résolution 1541 (XV) qui a été envisagée.
Le droit de la décolonisation externe a été oublié. La Nouvelle-Calédonie est donc appelée à rester sur la liste des Nations Unies des territoires à décoloniser.
Mais la décolonisation c’est aujourd’hui aussi la décolonisation interne dont les axes sont consacrés notamment par la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Autochtones, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discriminations raciales, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, etc.
Les accords de Matignon-Oudinot et de Nouméa étaient centrés sur la reconnaissance de l’identité kanake et d’un système juridique et institutionnel reposant sur le pluralisme juridique. Un destin commun dans le respect et l’équilibre des diversités, voilà le chemin qui avait été tracé, anticipant même sur l’évolution du droit international et dont s’est éloigné le projet d’accord de Bougival.
Pas un paragraphe n’est consacré à l’identité kanake, aux institutions et autorités coutumières, au droit coutumier, aux terres coutumières.
Certes les principes énoncés au paragraphe I du projet d’accord visent le fait que « les dispositions de l’Accord de Nouméa qui ne sont pas contraires au présent accord demeurent en vigueur ». Mais cette formulation est très ambiguë surtout compte tenu de l’imprécision générale et du manque de rigueur juridique dans la rédaction de ce projet d’accord. Elle induit en outre une remise en cause du principe d’irréversibilité des acquis de l’Accord de Nouméa. Et qu’en est-il de l’ensemble des dispositions de la Loi organique 99-209 du 19 mars 1999 relatives à l’identité kanake, aux terres et institutions coutumières ?
Il est prévu qu’une Loi fondamentale de la Nouvelle-Calédonie puisse accueillir une Charte des valeurs calédoniennes et que Sénat coutumier pourra y contribuer. A-t-on oublié qu’une Charte du Peuple Kanak a déjà été adoptée en 2014 ? A-t-on pensé son intégration, son articulation avec la Loi fondamentale proposée ? Non ! Et il n’a pas plus été prévu que le respect de l’identité kanake, du droit coutumier, des principes régissant les terres coutumières soit obligatoirement envisagé dans cette Loi fondamentale.
Certes il est prévu que ce texte permettra de clarifier le rôle des conseils d’aire ainsi que du Sénat coutumier. Mais aucune consultation de ces derniers n’a été opérée ni envisagée dans le futur.
Les quelques autres concessions faites au pluralisme culturel et juridique comme la création d’une police coutumière, le rôle des autorités coutumières dans la prévention de la délinquance, la médiation et la réparation pénales ont des contours et des modalités de mises en œuvre imprécis et qui n’ont là encore donné lieu à aucune consultation des institutions coutumières, écartées des négociations de Bougival.
Mais la zone d’ombre la plus importante reste encore liée au champ de la loi organique spéciale appelée à être adoptée après avis du Congrès de la Nouvelle-Calédonie - mais pas du Sénat Coutumier ni du Conseil économique et social. Cette loi organique spéciale emportera-t-elle abrogation ou révision de la loi organique 99-209 ? Nul ne le sait, tout est flou et donc tout est possible...
Quant au projet de société envisagé aux points 3 a et b, s’il avait été défini dans une large consultation associée à un processus de réconciliation, il aurait pu drainer un cadre structurant pour l’ensemble du schéma institutionnel et du système juridique, économique et social de la Nouvelle-Calédonie. Là où il aurait dû constituer la charpente, ce projet de société a été relégué au mot de la fin et limité à des vœux pieux et pompeux.
Ainsi tout ce qui procède du projet d’accord de Bougival nourrira insécurité juridique, tensions et crispations politiques lesquelles sont déjà perceptibles. Mais ce projet reste soumis au vote des populations intéressées. Cet accord prétendument historique n’existe en fait pas sans validation par référendum.
C’est la première étape, en principe. Alors espérons que les calédoniens et en particulier les Kanak ne seront pas dupes et rejetteront massivement le vote de ce texte !
En définitive, rien ne presse. Les acquis de l’Accord de Nouméa sont irréversibles, son cadre institutionnel appelé à s’appliquer tant que le territoire n’a pas accédé à un nouveau statut. Et n’oublions pas la parole donnée qui veut que la seule porte de sortie de l’Accord de Nouméa soit l’indépendance. Elle pourra se traduire le cas échéant par une indépendance association mais aux seules conditions que ce choix s’opère dans le respect du droit international et de la volonté librement et démocratiquement exprimée du peuple intéressé !
La Nouvelle-Calédonie connaissait les usines de nickel, elle connait maintenant une usine à gaz aux propensions hautement explosives. Dans l’esprit du Pacifique Way, espérons que les calédoniens, tous les calédoniens, sauront enfin bientôt prendre en main leur destinée et reconstruire leur pays suivant une vision qui leur appartiendra et loin des choix de Paris qui n’œuvre manifestement pas dans leur intérêt, ni pour l’intérêt commun, la paix et la sécurité.
[1] CCPR/C/FRA/CO/6


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